Au-dessus, je flotte (un essai sur la normalité)
Je parle avec Julian, un nomade ayant pris la route (non, que dis-je, la mer!) depuis bientôt une année. Il m’explique vraiment bien cette sorte de fossé qui se crée entre lui et le reste du monde, « un fossé qu’il pourrait encore franchir dans l’autre sens » me dit-il. Ce fossé, c’est celui entre sa normalité, et celle des autres, celle du monde qu’il a laissé derrière lui (mais avec un pied de sûreté encore dedans, au cas où).
Quant à moi, bien que je mène un style de vie particulier depuis bientôt sept ans, je n’ai pas de recette magique à donner pour être à l’aise avec ce genre de choix. Si on me demande pourquoi? comment? à quel moment? tout est flou. Je sais qu’à un moment donné, tout s’est enchaîné. Un fossé s’est ouvert, entre moi et moi. Et c’était le fossé qui comptait le plus, celui qui m’a permis de poser le mot normalité sur ma personne, de devenir ma seule référence. À chacun sa normalité, en somme, à chacun ses critères.
Aujourd’hui je ne me reconnais pas dans celle que j’ai été. Je ne me reconnais pas dans ma vie passée. J’ai l’impression de m’être lentement extirpée d’une carapace fantôme. Comme Julian, j’ai fait ma transition, d’une normalité impossible à définir (celle des autres!) à la mienne. Je l’ai faite doucement, un pas après l’autre, car il a fallu que je fasse connaissance avec moi-même avant d’être sûre d’avoir pris de bonnes décisions. Ces choses-là prennent du temps, n’est-ce pas?
Et puis la certitude est arrivée. Je suis sortie d’un monde qui ne me ressemblait pas pour ne faire plus qu’un avec le mien. Je flotte désormais quelque part, dans mon univers lointain. Je ne sens plus peser sur moi l’image qu’il me semblait que l’on me conférait, celle de la fille qui a pété un plomb et qui reviendra à la réalité. J’ai plutôt embrassé mon rôle d’extra-terrestre, de personne bizarre qui mène une vie plutôt particulière. Et aussi curieux que cela puisse paraître, je vois une certaine validation dans mon statut d’alien là où, avant, je ne voyais que du mépris pour moi-même et pour les autres.
Je me sens bien ainsi, hors du paysage, hors des remises en question, hors du pointage du doigt. Je vis ma vie comme je l’entends, les autres vivent la leur comme ils l’entendent et l’on se retrouve parfois au milieu, dans nos points communs ou dans cette tolérance qui a pris, parfois, des années à s’installer.
Certains changent avec moi, d’autres restent accrochés aux vestiges de nos passés. Certains s’en vont, d’autres me rejoignent. Tout se déroule au plus simple dans mon monde. Ce qui est, est. Le reste n’a aucune importance.
Mais avant d’en arriver là, j’ai dû apprendre à me connaître, à me comprendre, à m’aimer et à me protéger. Tout ce chemin m’a sauvé. Tout ce chemin m’a mené là, à une vie parfois fleurie de situations compliquées mais belle quand même. Changer de perspective: c’est peut-être ça finalement, la recette gagnante. Creuser un immense fossé entre toi, toi-même et le reste du monde, passer de chaque côté pour voir et choisir, enfin, ce qui te laisse vivre, ce qui ne t’empêche plus de respirer.
Aujourd’hui, je suis en marge, c’est une évidence. Je marche sur un fil sans filets de secours. J’aime beaucoup cette phrase glanée sur le site de Julian « La liberté est partout et il n’y a rien de mieux pour la poursuivre qu’un voilier qui file sous le vent ». Oui, la liberté est partout et elle te prend la main, maintenant. Mais tu pourrais même la suivre à pied, car elle ne cessera jamais de t’attendre.
Par Corinne Stoppelli
Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?
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(26 commentaires)
Super article Corinne!
Merci de mettre des mots sur ce que beaucoup ressentent, je pense!
Bienvenue au club des « filles qui ont pété un plomb et qui vont revenir un jour à la réalité »…. LOL
C’est puissant ces croyances limitantes qu’on nous a rentré dans le crâne, n’est-ce pas?
A croire qu’il n’y a pas d’autre mode de vie que celui des 97% de la population… hé bien, je revendique haut et fort que chacun doit vivre sa vie avec son coeur et même si j’ai la trouille certains jours (oui mon égo s’en donne à coeur joie régulièrement!), je ne veux pas m’endormir en route, et voyager encore… il y a tant de choses à faire, à voir, à vivre… bonne route! Une lausannoise bientôt sur le départ! PS: fais-signe quand t’es par là!
Chère Séverine, « une lausannoise bientôt sur le départ » => j’aime ça :) Oui, c’est affolant: des ailes coupées, des tiroirs où ranger les gens. De l’extérieur je vois ces mécaniques se déployer et je n’y comprends plus rien tellement j’ai l’impression d’avoir migré dans la stratosphère.
Le pire c’est qu’on a fini par y croire… qu’on n’était pas capable de vivre différemment! Je pars 3 mois dès novembre, j’ai toujours pas tout lâché, pourtant j’en rêve mais comme toi, j’ai des choses à apprendre et à lâcher. Cette année 2016, j’étais loin 5 mois sur 12, c’est une bonne moyenne, pour un début! J’espère l’augmenter très vite pour 2017! ;-)
Génial ton article ! Pour notre part cela fait 8 mois environ qu’on a « Pete les plombs » ma sœur et moi et que l’on n’a pas vraiment envie de revenir à la normalité imposée ! Christine et Julie de slowlifestylefr
Merci vous deux :) Je vous souhaite le meilleur pétage de plombs au monde!
Un bel article ! En ce qui me concerne, j’ai ressenti l’impérieux besoin de me re-poser … en quête d’un « port », d’un « havre de paix », d’un « lieu d’où partir et où revenir » … cette dernière expression m’a été donnée par une amie nomade, et je l’ai reprise à mon compte … ma normalité, c’est vivre par cycles … (aini étais-je quand je bossais dans l’enseignement: alternance de phases sédentaires et de phases comme remplaçante …) Ton article donne aussi envie d’aller faire connaissance avec Julian … Bonne route en stratosphère !!!
Merci :) Je comprends ça tellement! C’est un des trucs qui m’a toujours tarabiscoté aussi. D’où mes longs séjours de six mois, un an… l’envie d’un voilier comme base, etc. Je pense qu’on a tous des cycles et que c’est donc tellement naturel de s’écouter dans ce sens là. Mais ça ne colle pas vraiment avec les normes sociales « de base ».
Je lis ton article de bon matin et si tu savais comment il me fait du bien. Je suis en plein changement de ma réalité pour reprendre tes mots. Dans un mois je n’ai plus de travail, plus d’appart et je prend mon sac à dos et mon appareil photo. Et juste se matin j’étais un peu dans le doute et je tombe sur ton article.
Merci.
Merci beaucoup pour ces mots, Ben! Je te souhaite de bien grandes ailes et les plus beaux voyages au monde :)
Merci pour cet article Corinne, j’ai encore du mal à accepter ma nouvelle normalité, enfin surtout quand je suis de retour en France et je me pose à chaque fois beaucoup de questions autour du nomadisme, de l’identité, etc. Merci de me rassurer, comme toujours :)
Ma chère Lucie, ça me fait plaisir! C’est exactement de ça qu’on parlait avec Julian puisqu’il est parti de Suisse il n’y a même pas un an, et qu’on s’est rencontrés là. Je crois que c’était le premier retour en Suisse où je ne ressentais plus aucun questionnement sur ces sujets là, et on a donc pu comparer nos perspectives :)
C’est vraiment intéressant cette évolution et j’imagine que tu dois beaucoup mieux vivre tes retours!!
Je t’embrasse. Lucie
Ma chère Lucie, oui nettement mieux! Je suis passée de l’enfer au supportable, et je peux du coup m’attarder plus longtemps pour faire ce que j’ai à faire et même en profiter ;) Gros becs!
On est tellement nombreux à voyager et à vivre autrement que la vision des 97% que ca me fait mal de constater qu’on ressent pour la plupart ce regard accusateur d’une vie sans attache que bien souvent est jugée comme à un détachement de tout, une fuite, un choix égoïste ne contribuant pas à la société « des autres » ou du moins pas comme les autres (sous entendu pas assez) . Je pense qu’on a en commun de ne pas vouloir être dans des cases mais on a bien des valeurs communes au fond, grâce à nos blogs on peut se rendre compte qu’on est loin d’être des marginaux, si on peut nous accuser de quelque chose c’est d’être des rêveurs actifs qui réalisent leurs envies, créateurs de leur vie. Être nomade aujourd’hui n’est plus si atypique et on ne ressemble pas tous à des hippies pour autant. Vivre sa passion, écouter son cœurs, respecter ses envies, ça devrait être une normalité. C’est quand même choquant d’entendre à une époque où tout est possible que les pensées limitantes parce qu’elles sont en masse, soient encore celles associées à « la normalité' »
Caroline, merci pour ton témoignage! Je me dis souvent que bon nombre de gens ne veulent pas voir qu’il y a d’autres possibilités car cela les mettrait face à un choix drastique et « dangereux » (devoir se sortir de leurs habitudes), alors c’est plus facile de cataloguer ceux qui le font comme des spéciaux ou des marginaux.
J’adore. So toi!
Merci :*
Bonjour Corinne !
je viens de découvrir ton blog, et j’aime me perdre dans tes histoires et voyager d’articles en articles ( parce qu’il y en a vraiment partout partout au final ! ) Celui-ci particulièrement m’a touché. Petite je disais deja a mes parents » mais c’est quoi la normalité ? je suis pas d’accord avec ! » Cette année J’ai décidé de quitter mon boulots et mon appartement pour partir travailler en tant que saisonnière ( ce qui me permettra de mettre de l’argent en place tout en me deplacant) pour ensuite faire le tour du monde. J’ai la chance d’avoir un père qui se réjouit pour moi et qui me comprend, mais autrement je suis également » celle qui fuit la réalité » En attendant de pouvoir partir, je me nourris de blog voyage en tout genre et le tiens et dans la top liste ! Je t’en remercie !
Au plaisir de te rencontrer un jour sur ma route !
Chère Florianne, merci pour ton commentaire qui me touche beaucoup, et pour ton témoignage plein d’énergie! Je te souhaite la plus belle des expériences, autant dans ton job saisonnier que dans ton tour du monde. J’adore ce genre de projets, mais ça tu t’en doutais je pense :p
Article très intéressant. Tu as raison, l’important, c’est de trouver sa normalité.
J’aime beaucoup tes reflexions. Je comprends tout à fait car moi aussi je suis nomade. C’est vrai qu’on est différent de la plaupart des gens, on ne rentre pas dans le moule. Nous sommes une minorité tout simplement, mais qu’importe, le plus important, c’est de se sentir bien dans sa peau.
Merci Emily! Et oui, bien d’accord avec toi :) Au plaisir de te recroiser sur nos routes-maison!
Quel plaisir de te lire Corinne !
(ça fait trop longtemps que je m’étais éloignée des lectures blogueuses…)
Et j’espère te recroiser bientôt… on a un super canap pour toi, quand tu veux!
Bises
Merci Aurélie, deux fois ;) La dernière fois que j’étais à Paris me semble dater d’une éternité. Ce serait avec un immense plaisir que je re-squatterais ton canapé, hihi! Becs
Très jolie paragraphe de conclusion, j’aime beaucoup ! ça me fait penser à la petite phrase de Montherlant, comme quoi « la liberté existe toujours, il suffit d’en payer le prix »…
Coucou Corinne,
Quelle joie ! Je tombe sur ton blog au moment idéal. J’ai tout lâché en juin dernier, mais j’ai commencé ma vraie vie de nomade en solo depuis 15 jours ! Je me retrouve dans tes mots et ça fait du bien. Je travaille aussi en freelance…les galères, le stress, les moments de paix quand on se balade pendant 3 heures entre deux projets : )
Hâte de continuer à te lire,
Un saludo d’Espagne
Bonjour Clémence, merci pour ton message et félicitations pour ton changement de vie tout frais :) Je te souhaite d’y trouver rapidement ton équilibre!